(Cinquième partie)

J’ai tout particulièrement apprécié les cours d’histoire du droit. Nous apprenions pendant une année le droit romain avec le professeur Peter et pendant trois ans les anciennes coutumes françaises et romandes ainsi que la procédure avec le Professeur Poudret. J’ai enfin compris à quoi cela servait de connaître l’histoire. Ces deux professeurs étaient, contrairement à ceux du gymnase, de vrais passionnés, je crois que c’est cette passion qui aide à faire passer le message. Les vrais passionnés sont passionnants, car la passion c’est de nouveau une de ces choses qui ne sont pas des choses. La passion appartient à cette dimension supérieure (mais personne ne pourra nier que cela existe et que c’est très fort.

Je n’oublierai jamais le professeur Jean-François Poudret, une éminence grise, sans aucun sens pédagogique, mais dont l’immense savoir m’impressionnait énormément. Je tiens à présenter ici mes hommages à ce personnage extraordinaire. Ses cours étaient si concentrés que nous sortions de l’auditoire avec des crampes dans l’avant-bras (les ordinateurs portables n’existaient pas encore, on prenait les notes à la plume, à une vitesse extrême), en tenant nos têtes qui menaçaient d’exploser. Sa manière d’enseigner sortait totalement du lot. Il n’était pas possible de poser des questions à ce professeur, même pas à la fin du cours, il s’en allait tout de suite dès qu’il avait dit sa dernière phrase. Nous étions nombreux à sortir notre flacon de Carmol pour nous ranimer. Et pourquoi honorer un personnage si brutal et inhumain ? Le professeur Poudret ne nous aidait pas à comprendre les textes en ancien français, nous n’avions qu’à comprendre, comment c’était notre affaire. Je pense que personne ne l’avait aidé non plus. Il a certainement acquis son immense savoir seul, grâce à sa ténacité et sa persévérance. Il voulait nous faire part de son savoir, sans perdre du temps. Il avait déjà 70 ans, l’âge de transmettre. Il avait confiance en nos capacités intellectuelles, alors que nous doutions de nous. Il a eu raison, nous étions bel et bien capables de suivre ses cours. Nous avons souffert, mais les maux de tête se sont calmés à mesure que nos cerveaux se sont affinés. Il savait que notre intelligence valait la sienne. Or, l’intelligence grandit en étant sollicitée. La confiance n’a rien d’inhumain, rien de brutal. La confiance d’un génie en mes capacités intellectuelles est le plus beau cadeau que j’aie jamais reçu de la vie. Le professeur Poudret est décédé en 2014 à l’âge de 90 ans. Nous sommes ses héritiers.