(Cinquième partie)

L’ambiance universitaire était complètement différente de tout ce que j’avais connu auparavant. Je sentais sur ma peau la légèreté du savoir qui était dans l’air comme une odeur inodore. Cela n’avait rien en commun avec la morosité ambiante dans laquelle j’avais évolué avec tant de peine pendant toutes ces années, morosité si mal oxygénée que plus d’une fois ma flamme de vie s’était affaiblie au point que je l’avais crue éteinte. Fort heureusement, elle ne s’était jamais totalement éteinte et cette fois-ci je l’ai sentie plus forte que jamais. Tous les tracas de la vie quotidienne, les gros soucis de survie matérielle, d’éducation de mes enfants : tout cela, bien que très lourd, n’interférait d’aucune manière dans mon plaisir d’étudier.

J’étudiais le droit du mariage et le droit du divorce, situations que j’avais déjà vécues en direct. De nombreuses dispositions légales me rappelaient les problèmes de tel ou tel voisin ou ami. Lorsque les professeurs citaient des exemples, les autres étudiants, d’une génération plus jeune que moi, trouvaient que les professeurs exagéraient en choisissant des histoires si compliquées. Je riais en leur disant que la réalité était bien plus complexe que cela !

Je n’hésitais pas à lever la main pendant les cours, lorsque je ne comprenais pas quelque chose. Pour moi c’était l’occasion unique de comprendre enfin la logique derrière les questions complexes : pour une fois, j’avais en face de moi quelqu’un de compétent. Il ne m’échappera pas avant de m’avoir répondu. Chaque fois que je posais une question, de jeunes collègues venaient vers moi à la pause pour me remercier d’avoir osé demander, car eux non plus n’avaient pas compris. Au bout de quelque temps, les collègues étudiantes et étudiants devenaient aussi plus téméraires, les mains se levaient par-ci et par-là, des questions ciblées animaient les cours et les professeurs jouaient le jeu. En dernière année, un professeur nous a dit qu’il avait discuté de notre volée avec ses collègues, certains en place depuis vingt ans, et que tous étaient d’accord sur le fait que de toute leur carrière, ils n’avaient jamais eu une volée si intéressée et qu’ils avaient vraiment eu du plaisir à travailler avec nous.

Je ne pouvais évidemment pas participer aux loisirs des autres étudiantes et étudiants, car je devais m’occuper de mes enfants. Mais j’avais de bons contacts avec quelques-uns d’entre eux. Cela me suffisait, je me sentais à l’aise.